Les origines du Nazisme
Aimé Césaire | Les origines du Nazisme
” Il faudrait d’abord dire comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller au instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que chaque fois qu’il y a au Vietnam une tête coupée ou un œil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, ou un malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend et qu’au bout de tous ces traités de violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et ”interrogés”, de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe et le progrès lent, mais sur, de l’ensauvagement du continent …
Et Alors, un beau jour, on est réveillé par un formidable choc en retour : les gestapos s’affairent, les prisons s’emplissent, les tortionnaires inventent, raffinent, discutent autour des chevalets. On s’indigne, on s’étonne.
On dit : ” … Bah. C’est le nazisme, ça passe ” , et on attend et on espère et on se tait à soi-même la vérité, que c’est une barbarie, mais la barbarie suprême , celle qui couronne, celle qui résume la quotidienneté des barbaries , que c’est du nazisme, oui mais qu’avant d’en être la victime , on a été le complice ; que ce Nazisme-là, on l’a supporté, avant de le subir, on l’a absous, on a fermé l’œil là-dessus, on l’a légitimé, parce que jusque-là, il ne s’était appliqué qu’a des peuples non européens; que ce Nazisme-là, on l’a cultivé; on en est responsable, et qu’il sourd, qu’il perce, qu’il goutte avant de s’engloutir dans ses eaux rougies de toutes les fissures de la civilisation occidentale et chrétienne … ”
Extraits de ”Discours sur le colonialisme”. Éditions Présence africaine, 1950