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Publié par Christian Hivert

CHAPITRE IV 

Reine 

 

 

 

 

 

 

Il existe, à travers le monde, de rares êtres marqués d’une contemplation attentive de leurs contemporains, des filles ou des garçons provoquent sans le vouloir des cascades d’émotions incontrôlées tout le long de leur parcours, la plupart du temps ce sont des êtres juvéniles, néophytes.

 

Mais pas seulement, que peuvent-ils bien avoir de mieux que l’ordinaire dépourvu d’attentions, d'égards et de regards? Ils ne sont pas plus brillants, ni plus lumineux, ni aucun autre terme injuste semblant déterminer leur particularité, ils n’ont pas plus de qualité à première vue.

 

Ils ne sont pas plus adéquats que quiconque à un quelconque idéal de transfiguration humaine, ce ne sont pas des hommes nouveaux ni des surhommes, ni des champions d’une quelconque catégorie, ils ne sont pas différents physiquement, non plus que moralement.

 

Ils n’exercent pas de métier acquis par naissance comme l’on pourrait dire de nos têtes couronnées dont le moindre gazouillis intestinal anime l’espoir des paparazzis et alimente les pages des revues échotières. L’envie d'une vie aisée et des liens garantis les fera  peut-être stars.

 

Ou top-modèles, produisant les clinquants et merveilleux rêves consommés par la population ordinaire, mais ce ne sera qu’une conséquence, une utilisation bénéficiaire de leur aura positive, tous les gens que le monde unanime trouve beaux ne sont pas sur le même modèle.


Ils n’ont que très peu de points communs entre eux, ce serait impossible de catégoriser le type de beauté universellement reconnue à laquelle ils appartiennent, puisque justement les regards unanimes les dévisageant et les cloîtrant déterminent leurs caractères.

 

Ils n’ont pas à se livrer à un quelconque exercice ni à faire aucun effort pour que cela leur arrive, c’est le regard porté sur eux, c’est une donnée précise de leur être, la seule chose, ils sont vus, ils engendrent un enthousiasme incomparable chez leurs proches et leurs rencontres.

 

Nul individu dans nos villes, nommées villes par paresse de leur inventer des qualifiants plus orduriers, ne pourrait tenter de jouir du même privilège d’être vu, il pourrait s'user à atteindre une plus grande existence octroyée par les aléas de sa naissance, il n’y parviendrait pas.

 

Il lui faudrait travailler sans relâche ses qualités personnelles, connaissances et savoir faire, apprendre et produire avant d’être aperçu, et cette fugitive reconnaissance ne lui serait que partiellement attribuée, au moment précis de l’exercice de son art, ou à son évocation.

 

Dés le lieu de la démonstration de ses qualités quitté, pour peu que le journal télévisé ne l’ait exhibé récemment à l’admiration des foules, il se fera piétiner et bousculer, mais cette fille promenant négligemment ses fesses rebondies n’avait jamais eu d' effort à faire pour être vue.

 

Reine s’épiait distraitement dans le reflet des vitrines et miroirs des devantures de magasins, en se passant langoureusement la main dans ses cheveux ébouriffés, tous les trois pas, depuis sa toute petite enfance le regard des autres avait toujours cillé à son approche, tremblé.

 

Les hommes se retournaient plein de désir et les femmes se détournaient pleines d’envie, jusqu’à cette vieille femme lui déclarant péremptoire le jour de ses douze ans, "Toi tu seras comme la môme Piaf, d’ailleurs tu lui ressembles, t’auras plein d’amants, comme elle !", elle avait ri.


Il ne lui avait pas été possible d'échapper à la réalisation de cette prophétie, tout en marchant tranquillement, les fesses rebondies au soleil, cette traînée de désir se vaporisait dans ses traces et lui avait laissé un nom susurré par les femmes, sifflantes dans le secret de leur fureur.

 

C’était sa marque de fabrique, elle était née, elle avait grandi comme cela, plus elle grandissait, plus elle avait travaillé son aspect, à savoir, elle n’avait rien travaillé du tout, elle avait mollement laissé faire les hasards des modes et s’habillait d’un rien froissé, plus nue.

 

Laissant s’exprimer au maximum son corps brut de peau, portant comme seul artifice le minimum du tissu lui permettant d’affronter la traversée des rues de l’arrondissement sans attenter à la pudeur définie par nos lois, son incitation coquine la couvrait, frissonnante.

 

Elle n’était pas comme de ces filles de son âge s’attifant et se pomponnant, se déguisant tous les jours en reines de carnaval, ni comme ces autres s’appliquant à copier assidûment la forme vestimentaire la plus à la mode des magazines féminins, elle ne les parcourait pas.

 

Non plus comme celles, plus ordinaires recherchant inlassablement les nippes les plus adaptées à leur caractère, leur bourse et leur goût, non, elle faisait simple, d’un style franc et direct avec suffisamment de peur dans la décontraction pour générer une excitation, sans plus.

 

Dés le printemps, elle se faisait rosir les cuisses nues en jeans usés, coupés façon short, ou bien virevoltait nonchalante en robe noire, déboutonnée sur le devant, jusqu’à mi-cuisse, en sauvageonne de la rue, les cheveux jamais démêlés, boulevard de Charonne, elle mouillait.

 

Alors, les vieux Arabes dépensant leur assédics et leurs retraites au comptoir de leurs cousins kabyles, guettaient et commentaient son passage, elle aimait bien se promener dans tout le quartier, elle passait des heures ainsi à emmagasiner en elle leur  désir fluide, les faisait bander.

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